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CGT : quel avenir pour le « dialogue social » ?

mai 29, 2023

Suite à sa rencontre avec Elisabeth Borne le 17 mai 2023, la direction de la CGT a fait une déclaration, dont voici les principaux extraits, après y avoir rappelé son opposition à la réforme sur les retraites :

« Ce rendez-vous a été aussi l’occasion d’aborder les sujets de préoccupation majeurs des salariés·es et notamment :

–      l’augmentation des salaires grâce à leur indexation sur l’inflation ;

–      la révision des ordonnances Macron ;

–      la conditionnalité des aides publiques aux entreprises ;

–      la réduction du temps de travail ;

–      l’égalité salariale et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

La CGT a rappelé son exigence de négociation tripartite sur les demandes syndicales. L’agenda social est celui des syndicats, pas celui du gouvernement ou du patronat. L’intersyndicale présentera donc le 30 mai ses premières propositions communes.

Nous ne voulons plus de mesures en coquille vide. Nous refuserons également de discuter sur la base d’un agenda patronal ou gouvernemental régressif.

Ce rendez-vous de « dialogue social » s’est avéré être un monologue patronal. »

Dans un précédent article en ligne « Y aller ou pas ? », on avait défendu une réponse positive, à condition d’une position claire sur la méthode et le cadre des rencontres avec le gouvernement.

La déclaration de la CGT ci-dessus va dans le sens de cette clarification, qui a manqué dans les dernières années, au moins. Nous étions habitué.es à voir la direction de la CGT se rendre à ces rencontres, et parfois à ne pas y aller, mais pour des raisons tenant plus à leur contenu qu’à leur cadre.

Ici la direction confédérale semble formaliser des critères que l’on ne peut que saluer : « exigence de négociation tripartite », « L’agenda est celui des syndicats », refus de « discuter sur la base d’un agenda patronal ou gouvernemental régressif ». Ce sont des critères qui dessinent une position qui commence à tourner le dos au « dialogue social ». On peut les résumer par : on arrête de perdre notre temps dans des réunions qui ne débouchent sur aucun texte normatif, qui oblige à faire ; on arrête de se laisser imposer dans les réunions un ordre du jour régressif pour les salarié.es.

Est-ce que cette position sera tenue dans la durée ? Est-ce qu’elle va faire école dans l’ensemble des structures de la CGT, des syndicats aux fédérations, en passant par les comités régionaux et unions départementales ? Est-ce qu’elle sera élargie à l’ensemble des activités de la confédération CGT ? Parce que si c’est le cas, et cela devrait l’être si on compte vraiment tourner le dos au « dialogue social », il y a du boulot en perspective … ! Ce serait là aussi un axe d’unité d’action possible à débattre avec d’autres organisations du syndicalisme de lutte, comme Solidaires et la FSU.   

Michel T (militant UL-CGT)

Y aller ou pas ?

mai 5, 2023

(contribution à la discussion)

Au moment d’écrire cet article, la nouvelle journée de grève et de manifestations du 6 juin contre la réforme sur les retraites n’aura pas encore eu lieu, ni le vote à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi du groupe LIOT pour abroger la loi passée par le 49.3.

Mais on tentera quand même quelques commentaires sur la question que tout le monde attendait, celle de savoir s’il fallait « y aller ou pas », c’est-à-dire accepter ou pas de reprendre les discussions avec le gouvernement sur d’autres sujets que sur la retraite, après la sortie de l’intersyndicale suite au refus de la Première ministre d’aborder la loi sur la retraite à 64 ans. Trahison ou pas ?

Les conditions de la CFDT

Les déclarations de Laurent Berger à la veille du 1er mai se déclarant favorable à la reprise des discussions sur d’autres thèmes, sont dans la logique des choses. Invité à l’émission Quotidien sur la chaîne TMC le 1er mai, Laurent Berger a précisé deux choses, réitérées le lendemain sur La Chaîne Parlementaire.

La première est que selon lui, même si les organisations syndicales divergent sur plusieurs questions, il serait possible de trouver des positions communes, notamment sur : les salaires et les minima de branche, les conditions de travail et son organisation, et même les ordonnances Macron de septembre 2017, contre lesquelles la CFDT n’a pas même tenté de mobiliser … ni fait un retour critique sur son position.

Une intersyndicale au complet sur des sujets concrets, comme par exemple remettre en cause les ordonnances Macron de septembre 2017, est-elle possible ? On ne peut l’écarter par principe, mais a priori cela semble difficile. A la CFDT avant tout d’en faire la démonstration … Un autre exemple, celui de la « répartition de la valeur ». Un Accord national interprofessionnel (ANI) a été signé entre CFDT, FO, CFTC et CGC et le patronat. La CGT a refusé de le signer, car l’essentiel de son contenu tourne autour de mesures financières (comme l’intéressement et la participation) qui s’opposent à des augmentations de salaires, et donc à exonérer encore une fois le patronat de cotisations sociales, qui restent la base du financement de la Sécurité sociale, et donc aussi de la retraite … Ces quatre confédérations ont donc signé un ANI en contradiction directe avec leurs discours sur le financement de la retraite !

La seconde chose que Laurent Berger a avancée est que discuter avec le gouvernement sur d’autres thèmes que la retraite ne pourra se faire qu’à condition que l’exécutif accepte une autre méthode que celle appliquée jusque-là. Que l’essentiel, sur chaque thème, ne soit pas a priori hors champ du débat : ne pas laisser des miettes aux syndicats.

Et le syndicalisme de confrontation sociale ?

C’est là directement que se pose la question pour le pôle syndical de confrontation sociale, « y aller ou pas » ? Est-il tenable de dire : « plus aucune discussion avec le gouvernement, sur aucun sujet que ce soit, tant que la loi sur la retraite à 64 ans ne sera pas retirée ou non mise en œuvre » ? Cela n’a pas de sens. Car alors pourquoi exonérer le patronat ? Il faudrait, pour être cohérent, refuser aussi toute négociation avec le patronat, au niveau interprofessionnel, sur tous les sujets tant que la loi des 64 ans ne sera pas mise à terre.

L’intersyndicale tente de gérer non pas une fin du conflit sur les retraites, mais une sorte de suspension, un atterrissage sans trop de secousses… Le niveau du rapport de force n’a pas été suffisant, par l’absence d’une grève suffisamment massive et reconductible. Les dernières journées de mobilisation se situent toujours à un niveau élevé par rapport à la dernière décennie, mais la fatigue et l’usure des équipes militantes sont devenues évidentes. Donc elle continue à se raccrocher à des logiques institutionnelles (décisions du Conseil constitutionnel, motion de censure, vote sur une proposition de loi) pour faire de la gestion. Et on lit et on entend alors le florilège classique de la « trahison des bureaucraties syndicales », etc. Celles et ceux qui excellent dans cet exercice, que proposent-ils/elles, qui prenne vraiment en compte les coordonnées de la situation réelle, et non pas fantasmée ?  Comme c’est le concours Lépine en ce moment, peut-être qu’une idée géniale viendra …

Le critère de méthode posé par Laurent Berger est un bon critère. Peu importe que ce soit le secrétaire général de la CFDT qui l’ait mis en avant. Il faut le prendre au mot pour le coup, mais aussi pour tous les autres coups, et partout ! Faut-il occuper cette chaise ou pas qu’offrent à un moment donné les rapports sociaux institutionnalisés, et les instances permanentes qui en sont issues ? Car ce qui est paradoxal, c’est que l’exigence de méthode par Laurent Berger est l’exacte définition du refus du « dialogue social ». Celui-ci est l’essence même de l’institutionnalisation du syndicalisme. Celle-ci n’est pas le fait que les confédérations participent à des organismes et à des instances où se retrouvent Etat et patronat avec les syndicats. C’est le fait de se retrouver dans ces lieux où ce qui en ressort n’engagera personne, et donc ne nécessite aucun rapport de force de la part des syndicats pour empêcher un recul, pour gagner des droits et des acquis supplémentaires, avec des « règles du jeu » claires au préalable. Et Laurent Berger de dire publiquement, et avec fermeté, que son organisation veut faire l’inverse de ce qu’elle pratique tous les jours, face aux gouvernements successifs (mais qu’elle n’a pas réussi à obtenir de la part de Macron …) et au patronat. On ne demande qu’à voir !

Oui, cela fait partie du combat du syndicalisme de confrontation sociale de gagner la construction de lieux où l’on négocie pour obtenir des accords favorables au monde du travail et à la population, qui ne sont que des armistices avant de repartir à la bataille Et ils sont favorables si ce syndicalisme aura réussi à se présenter avec un rapport de forces suffisant, qui se mesure d’abord à son ancrage sur les lieux de travail, à y faire vivre l’action syndicale et le militantisme, ce qui tient à ses propres capacités d’abord. Et donc à être majoritaire face au pôle du syndicalisme d’accompagnement des reculs sociaux et du dialogue social.

Il n’y a rien de scandaleux ici, cela se passe dans les entreprises, dans les branches, et donc aussi au niveau interprofessionnel où les interlocuteurs sont le gouvernement, mais aussi le patronat. Ces règles de la négociation sont elles-mêmes le fruit d’un compromis issu d’une négociation faisant suite à un rapport de forces, etc. Et tant que le rapport de forces n’est pas porté à un niveau bien plus élevé, comme lors d’une grève de masse reconductible, prenant un caractère de crise politique profonde, ce seront ces règles que les syndicats appliqueront pour améliorer le quotidien de notre classe sociale. Il n’y a pas à s’en offusquer. On n’impose que ce que l’on est en capacité d’imposer. Négocier n’est pas trahir, tant que le moment où l’on décide de négocier n’est pas choisi volontairement pour briser une mobilisation. Ce n’est pas une science exacte, on peut se tromper, on se trompe tous les jours. Il est assez facile de déterminer quand il y a volonté de casser la lutte. Mais il est parfois compliqué de savoir quand le rapport de force a atteint son point culminant. Négociation et dialogue social sont opposés. Pour le syndicalisme de confrontation sociale, la négociation est une étape, un moment dans le processus constant de la construction du rapport de force.

La question ici est de savoir à quel niveau est le rapport en ce moment, en l’absence de grève, mais où la colère continue à s’exprimer massivement, et où l’intersyndicale existe encore. Est-ce que ce sera suffisant pour gagner du vrai contenu face au gouvernement sur des sujets hors question des retraites ? Il y a ici de quoi donner une perspective à l’intersyndicale, à condition qu’elle puisse trouver un vrai contenu revendicatif. On sait que là on peut sérieusement douter. Mais on espère être surpris. Combien avaient prédit la sortie du pôle syndical d’accompagnement, CFDT en tête, de l’intersyndicale au bout de quelques semaines ?  

Déserter totalement le dialogue social

C’est donc tout l’inverse du « dialogue social », et c’est cela qu’il faut marteler, sur quoi il faut former les équipes syndicales, en faire un des piliers du modèle syndical de confrontation sociale : il faut déserter le dialogue social ! Laisser vides ses chaises qui nous sont offertes ! Cette cohérence, ce pôle syndical doit l’affirmer dans l’intersyndicale. Mais plus encore, il doit se l’appliquer à lui-même dans toutes ses activités. Et là, il y a une sérieuse remise en cause à faire. Car si le « dialogue social » ne caractérise pas le pôle du syndicalisme de confrontation sociale, il le pratique tout de même à une certaine échelle, dans certaines entreprises et établissements, les plus grandes, dans les branches, et au niveau interprofessionnel. Comme seul exemple on donnera la participation des huit organisations syndicales, et donc aussi de la CGT, la FSU et Solidaires, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), et se déclinaisons régionales (CESER). Mais on sait que là (notamment pour la CGT qui y trouve des moyens financiers pour faire exister plusieurs de ses Comités régionaux) et ailleurs, les enjeux financiers ne sont pas négligeables, posant la question du modèle syndical défendu.

Donc oui, il faut « y aller », mais avec un critère clair et cohérent, et qui engage, non seulement lorsque le gouvernement rencontre les organisations syndicales, mais partout ailleurs où le syndicalisme de confrontation sociale se trouve à représenter les salarié.es et la population. Et donc sans plus tarder, il doit se transformer pour répondre à la réalité du salariat d’aujourd’hui, faire exister et organiser le syndicalisme sur les lieux de travail, et s’unifier. Sans quoi, même avec un critère correct, il restera incapable de gagner sur des revendications centrales au niveau interprofessionnel.

Michel T (militant UL CGT)  

« Il n’y aura pas d’échappatoire à la grève »

mars 30, 2023

Depuis le passage en force à l’Assemblée avec le 49.3, la mobilisation a passé un nouveau cap. Une phase de multiplication des actions de blocage a commencé. Ce qui frappe, c’est que ces actions plus radicales n’ont pas été le fait, comme on le voit souvent, d’une minorité irréductible qui reste dans la lutte en fin de mouvement. Au contraire, on a assisté depuis janvier 2023 à une montée en pression, par paliers, qui n’a laissé aucun·e des acteur·e·s de la mobilisation sur le côté. Bien entendu, certaines composantes de l’intersyndicale n’ont pas suivi cette voie, voire l’ont désapprouvé, mais sans jamais remettre en cause le cadre unitaire de mobilisation qui fait alors office de « minimum syndical »: « libre à chacun·e d’aller plus loin ».

Et nous ne nous en sommes pas privé·e·s, à tous les niveaux: depuis maintenant une dizaine de jours, nous avons su multiplier les actions avec inventivité et régularité. Barrages filtrants, opérations escargot, filtrages de ronds-points, opérations ville morte, déambulations, blocages de routes ou de centres logistiques… La liste des actions, démultipliées sur tout le territoire, des grandes villes aux plus petits bassins d’emploi, est impressionnante et a largement permis de fragiliser encore un peu plus un pouvoir déjà chancelant. Il faut souligner que l’initiative de ces actions (à l’exclusion des manifestations sauvages du soir, encore que beaucoup aient fait suite à ce qui était à l’origine des rassemblements tout ce qu’il y a de plus syndicaux) vient le plus souvent des structures syndicales elles-mêmes, Unions départementales ou locales, fédérations, syndicats…

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On est loin d’un «dépassement par la base» tel qu’invoqué parfois abstraitement, puisque ces initiatives ont été encouragées au niveau confédéral et bien souvent impulsées et organisées par les structures territoriales ou fédérales. Cela n’est pas étranger à leur démultiplication, à leur fréquence et à leur ampleur: la preuve a été faite que pour tout diminué qu’il soit, le tissu syndical conserve une certaine capacité de mobilisation de ses militant·e·s, pour peu qu’il s’en donne les moyens. Mais pour tout spectaculaire que soit ce durcissement de la conflictualité, force est de constater qu’il n’implique qu’une partie très minoritaire des participant·e·s aux manifs (qui sont, elles, plus massives que jamais, comme on l’a vu le jeudi 23 mars), et plus encore si l’on se place à l’échelle du salariat tout entier.

Les limites de cette stratégie commencent donc à se faire sentir. Les actions de blocage, dans leur grande majorité, ne sont pas des actions constructives. Elles ont une efficacité sur le moment, mais n’augmentent pas en soi le niveau de mobilisation. Pour qu’un blocage perdure, pas le choix: il faut re-bloquer. Puis rebloquer encore, jusqu’à épuisement. Ça ne marche qu’un temps, par définition. Le blocage est une action à rendement décroissant: le premier jour, il y a l’enthousiasme de la nouveauté, l’effet de surprise, la rencontre de militant·e·s d’horizon divers… Mais s’il faut durer, alors s’installe la routine, l’épuisement, la répression policière… et pas de forces nouvelles pour prendre le relais. Le blocage, c’est souvent l’entre-soi des (plus) mobilisé·e·s.

Même porté par les syndicats à une ampleur inédite, le contournement de la grève par le blocage ne marche qu’un temps. Pour avancer, il n’y a pas le choix: il faut la grève. Et trop d’actions de blocage sont complètement déconnectées de toute ambition de la construire.

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Il ne s’agit pas d’opposer tous les blocages à la grève. D’abord parce qu’une action symbolique réussie donne confiance, visibilise la lutte, fait se rencontrer des militant·e·s qui rentrent remotivé·e·s. Le blocage du périphérique parisien dès le 17 mars, mobilisant plus de 400 militant·e·s en trois points différents, a ainsi été une démonstration de force et un tremplin pour la suite de la mobilisation.

Ensuite, parce que le blocage fait partie du panel d’action de solidarité interpro à mobiliser en soutien à la grève. Que ce soit dans le secteur des déchets ou dans les raffineries, les blocages réalisés avec l’appui d’autres professions en luttes et d’étudiant·e·s ont permis d’afficher un soutien massif aux grévistes et de faire face aux réquisitions.

Mais on a aussi vu trop de blocages «gratuits»: des sites bloqués sans même prévenir le syndicat à l’intérieur de la boîte; d’autres où le blocage génère une longue file d’attente de camions, l’occasion rêvée d’aller discuter de la grève avec tous et toutes les salarié·e·s d’un secteur stratégique… Mais personne n’a pensé à amener un tract, et d’ailleurs personne ne semble vraiment avoir envie d’aller discuter avec ces salarié·e·s non-grévistes: c’est plus confortable de rester agiter nos drapeaux entre convaincu·e·s… On pourrait multiplier les exemples d’actions qui tournent en boucle (pas toutes heureusement, certaines sont menées en appui à une stratégie de grève), qui donnent la satisfaction de « faire quelque chose » mais n’augmentent nullement les chances que d’autres « fassent quelque chose » à leur tour le lendemain. D’autant qu’elles mobilisent souvent beaucoup de militant·e·s, qui pourraient parfois employer cette énergie ailleurs ou de manière mieux coordonnée.

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La preuve en a été faite à de multiples reprises: que l’on appelle à «mettre la France à l’arrêt» le 7 mars, que l’on démultiplie les actions symboliques, que l’on proclame qu’il n’y aura «plus de règles» si le gouvernement utilise le 49.3, nous n’avons pas bloqué l’économie. Et pour y arriver, on ne pourra pas faire l’économie du travail de construction de la grève. Car il n’y a pas de grève sans discussion avec les salarié·e·s.

Les blocages font totalement partie du répertoire d’initiatives à utiliser, mais ils doivent être ciblés et préparés dans ce but (tract préparé en direction des salarié·e·s visé·e·s, prises de contact préalables, suivis et communications…). Et ils ne doivent pas être utilisés par défaut, au détriment des autres outils à notre disposition. L’essentiel est d’arriver enfin à s’adresser aux salarié·e·s non grévistes, que ce soit sur nos lieux de travail ou là où nous n’avons pas d’implantation. Ces lieux sont beaucoup plus nombreux que les seuls sites stratégiques souvent ciblés: parfois, s’adresser aux salarié·e·s n’implique pas de les bloquer, comme dans le commerce.

Partout où nous sommes allés à la rencontre des salarié·e·s, l’accueil a été excellent: ils et elles sont toujours heureux de recevoir la visite de syndicalistes, de découvrir qu’ils et elles ont le droit de faire grève et sans préavis, que leur opposition (fréquente) à la réforme peut s’exprimer par la grève même s’ils/elles travaillent à quelques salarié·e·s dans une petite boutique, etc. C’est peut-être moins immédiatement satisfaisant et moins spectaculaire qu’un blocus matinal. Mais c’est payant sur le moyen terme (sans parler du renforcement du syndicalisme pour la suite, quelle que soit l’issue du mouvement), et au moins tout aussi gratifiant, par la conscience de classe interpro que cela génère, des deux côtés. C’est aller à la rencontre d’une facette massive mais trop oubliée du prolétariat contemporain, dont la participation à la grève n’est pas une option pour la victoire de tous et toutes. A nous de faire preuve d’inventivité, et d’imaginer aussi des initiatives qui permettent de rompre avec l’image du vieux tractage poussiéreux: déambulations joyeuses dans un centre commercial, cantine à prix libre sur une zone industrielle, tournée syndicale massive et simultanée sur plusieurs sites, etc.: tout est bon à prendre, pourvu que ça permette de discuter et de transmettre un peu de notre enthousiasme gréviste à des salarié·e·s encore hésitant·e·s!

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Alors certes, il est tard. Certes, ce boulot aurait dû être fait bien avant. Mais il n’y a pas d’échappatoire. Ou bien nous parvenons à mettre autant d’énergie que celle que nous avons mise dans les blocages dans des actions de développement de la grève, ou bien nous continuons à tout miser sur une stratégie de blocage minoritaire et largement extérieure, le débouché ne pourra être qu’une guérilla face à la police; une guérilla de plus en plus réduite à un noyau militant qui finira laminé par la répression. La réforme et son gouvernement n’ont jamais été aussi impopulaires, l’occasion est encore là et les attentes des travailleurs et des travailleuses à notre égard sont immenses. A nous de nous en saisir pour provoquer à nouveau un de ces rebondissements qui ont rythmé ce mouvement.

Baptiste, militant interpro CGT

(30 mars 2023, paru aussi sur A l’encontre)

Congrès confédéral CGT de Clermont-Ferrand : Plus qu’un problème de personnes, une crise structurelle

mars 11, 2023

Article paru dans La Révolution prolétarienne n°820 (mars 2023), disponible au format pdf:

(cliquer sur l’image pour ouvrir le pdf)

Retraites : un premier bilan après un mois de lutte

mars 7, 2023

Pour avoir des chances de gagner la lutte contre la réforme des retraites commencée le 19 janvier, il est nécessaire de réfléchir aux questions de « stratégie et de tactiques ». Il ne s’agit pas ici de tirer des conclusions définitives, mais plutôt d’apporter des éléments sur 3 plans : notre objectif, nos moyens, et ce que nous avons a pris après un mois de lutte.

Contribution (du 26 février) disponible au format pdf :

(cliquer sur l’image pour ouvrir le pdf)

Climat gréviste et grève reconductible

mars 2, 2023

Sans oublier les conflits contre les licenciements, car oui, les licenciements collectifs se poursuivent, on sait que ce qui est largement en tête dans les motifs des grèves depuis de nombreux mois déjà, ce sont les salaires. Il y a eu les quelques luttes très médiatisées dans certains secteurs emblématiques, mais que ce soit dans les secteurs féminisés ou dans les PME de l’industrie notamment, ces batailles contre les conséquences de l’inflation se poursuivent… en plein conflit contre le projet de loi sur les retraites.

S’il était important de concentrer, au moins au début de la mobilisation contre le projet de loi, les forces pour la réussite des deux premières journées en se focalisant sur la question des retraites, n’est-il pas temps maintenant de nous adapter tactiquement ?

Oui la perspective de travailler plus longtemps frappe toutes et tous les salarié.es. Mais tout le monde, en fonction de son âge et de sa carrière, n’est pas touché.e selon la même temporalité. Alors que le marteau inflationniste frappe non seulement beaucoup plus, voire tout le monde (certes pas dans la même intensité), mais le fait d’une manière plus homogène.

Une grève de masse reconductible sur les retraites est possible. L’histoire sociale n’est pas un argument pour décider du présent, car l’histoire ne se répète pas. Elle dit juste qu’une telle grève, de masse et reconduite, n’a jamais eu lieu. Ce n’est pas une raison pour ne pas s’en donner l’objectif en 2023. Mais la bataille présente se déroule justement dans un climat particulier qui explique pour une partie non négligeable les niveaux de mobilisation depuis le 19 janvier. Le ras-le-bol qui amène à se mettre en grève ou en congé le jour des manifestations pour y participer concerne aussi les salaires et le niveau des pensions de retraite.

Il y a là une source bien présente de carburant gréviste, un troisième étage de la fusée, en plus des manifestations et des grèves sur la retraite, qui ne demande qu’à pousser encore plus fort qu’actuellement.

Gouvernement et patronat, inquiets du niveau de mobilisation en réaction à leur projet, voient tout de même que le feu n’a pas encore pris à la plaine. La grande crainte, c’est la convergence entre mobilisations sous toutes ses formes contre le projet de loi et de très nombreuses grèves, plus ou moins longues, peu importe (l’essentiel étant de gagner), sur les salaires. Parce que gouvernement et patronat savent pertinemment que tout est là.

Il ne manque pas grand-chose. Mais ce « pas grand-chose » peut être très difficile à obtenir. Cela dépend de beaucoup de facteurs psychologiques, ceux qui donnent confiance dans l’action collective. Et là, les équipes militantes sur la brèche dans la bataille des retraites ont un grand coup à jouer. Aller au contact de ces salarié.es, peu importe comment, discuter des salaires en plus de la retraite, proposer de discuter de la grève sur ces sujets, etc. Tout ne dépend pas de l’action militante pour réussir, mais c’est un facteur important. Il faut le jouer à fond. Cela impose des tâches particulières, une organisation spécifique et ciblée, de l’imagination, et une grande disponibilité dans les semaines qui viennent.

Le temps n’est-il pas venu, pour le syndicalisme de lutte de parler plus fort sur les salaires, de lier cette bataille avec celle sur les retraites, d’expliquer que ces deux luttes se renforcent mutuellement ?

Un climat social qui vire couleur « grèves nombreuses », n’est-il pas la clé pour la « grève reconductible sur la retraite » dont on entend tant parler depuis au moins le 19 janvier ?

M. (militant syndicaliste CGT en union locale)

Comment s’occuper entre deux dates de mobilisation ?

février 26, 2023

(Article à paraître dans La RP n°820, mars 2023)

Les premières semaines de ce mouvement contre la réforme des retraites ont été déconcertantes pour beaucoup de militant.es, notamment à cause du rythme de la mobilisation : une succession de « journées saute-mouton » hebdomadaires, séparées par des périodes de « basse intensité » militante. Parmi les syndicalistes de lutte, la nécessité de la « grève reconductible » fait consensus : il faut aller au-delà de ces temps forts. Mais pour que le mouvement suive une autre temporalité, notre priorité ne devrait pas être de redoubler de critiques contre l’intersyndicale nationale : celles-ci, d’abord, n’ont que peu d’impact, et ensuite leur seul effet pourrait être de renforcer des camarades dans la conviction que les syndicats ne sont pas avec nous… et qu’il faut se contenter de les critiquer plutôt que d’y agir.
La piste à creuser, c’est plutôt celle de notre action entre deux dates : que faisons-nous, nous, syndicalistes de luttes, partisan.es de la grève reconductible, pour que la grève s’étende et se poursuive dans la durée ? C’est aussi en posant ces problèmes que l’on ne s’exonère pas de toute responsabilité dans le déroulé de la mobilisation, en mettant tout sur le dos d’éléments sur lesquels nous avons peu de prises.
1) Un mouvement ne se résume pas à ses temps forts. Les grandes dates, ce sont plutôt les moments où l’on évalue l’état de la mobilisation et sa popularité générale, et où l’on cueille les fruits du travail effectué. Ce qui compte, c’est aussi le temps disponible entre chaque date, qu’on aime juger trop long pour se donner l’air radical.e (« 10 jours, c’est dans si longtemps !, etc. »)… mais sans toujours utiliser ce temps disponible.
2) Car, par définition, les jours de manif, on est en… manif. Donc, au contact de personnes déjà mobilisées, certaines pour la première fois ; c’est l’occasion de se rencontrer, de former un groupe, de se donner collectivement de la force, d’échanger sur les suites, etc. Mais, pour faire grossir les manifs et surtout la grève, il faut rencontrer des personnes non mobilisées. Et ça, ça ne peut se passer qu’en dehors des grandes dates.
3) Faire du boulot militant hors des jours de manifs, ça demande d’avoir du temps… et donc de ne pas être au boulot : congés, heures de délégation syndicale, grève (pour lesquelles les caisses de solidarité pourraient être utilisées prioritairement). C’est là une condition indispensable pour participer à l’immense travail que représente la construction d’une grève.
4) Un noyau militant (au moins), avec du temps pour la grève, donc. Pour quoi faire ? La toute première tâche, ce devrait être la réactivation des réseaux syndicaux. Dans son établissement, sa branche, son UL, son UD, rentrer en contact avec toutes les équipes militantes et tou.tes les mandataires du syndicat (élu.es CSE ou CSA mais aussi en commissions paritaires, conseiller/ères du salarié.e, prud’hommes…). Ce sont ces personnes qui représentent l’organisation, et la participation aux mouvements interprofessionnels devrait faire partie des tâches de leur mandat. Ce sont les personnes a priori les plus faciles à contacter, puisqu’elles sont dûment identifiées. Bien sûr, dans la réalité, les liens sont souvent distendus, voire rompus, mais c’est le moment de reprendre contact et de proposer de l’aide pour tracter, organiser une AG, présenter la réforme, fournir des rappels sur le droit de grève…
5) Concrètement, dans une UD, ce boulot peut consister à établir une liste des entreprises du département avec une implantation CGT, et faire un état des lieux de leur implication dans la mobilisation. Il est probable que beaucoup d’équipes du privé seront occupées par les NAO (Négociations annuelles obligatoires)… mais on connaît les piètres accords signés lors de négociations sans rapport de force (la plupart du temps, ils ne compensent même pas l’inflation). Le contexte de grève est donc l’occasion d’interroger les routines militantes, et de convaincre que c’est le moment, justement, d’en sortir : il y a de fortes chances que des boîtes qui se mettent en grève sur les retraites mais aussi sur les salaires obtiennent un accord beaucoup plus avantageux qu’en restant dans le strict cadre établi de la négociation…
6) Ce travail de mise en lien sert aussi à collecter des informations : les débrayages dans le privé ne sont pas si rares que ça, mais les remontées d’informations sont très mauvaises. Pour donner de la confiance, dans les boîtes en lutte comme à celles qui ne le sont pas encore en montrant que c’est possible, il faut faire un travail volontariste de compilation, de synthèse et de diffusion des mobilisations, y compris les courts débrayages. C’est aussi comme ça qu’ils se répandront, de proche en proche, et qu’on pourra reprendre contact avec des boîtes où il y a une vraie envie de se battre, mais sans forcément les liens avec une structure syndicale pour le faire efficacement. L’aspect « redescente » des infos est à ne pas négliger, y compris pour en obtenir : les militant.es se lasseront vite d’envoyer une synthèse sur leur situation si l’échange est à sens unique et qu’iels ne reçoivent jamais, en retour, de synthèses permettant de jauger l’état de la mobilisation pour motiver les collègues ou cibler certaines tâches.
7) Ce travail est par nature limité par le taux de présence syndicale : plus de la moitié des entreprises de plus de 20 salarié.es ne compte aucun.e représentant.e syndical.e. Une grève vraiment généralisée demande donc d’aller au-delà de nos bases, de sortir de nos boîtes et établissements. Les actions les plus simples et évidentes, ce sont les tractages « indistincts » (centres commerciaux, gares, métros) dans tous les lieux de passage un tant soit peu conséquents, et les collages. Elles demandent simplement du nombre, une préparation matérielle limitée (encore qu’il n’est pas toujours simple de se procurer à temps les supports imprimés), et permettent de toucher un grand nombre de personnes d’un coup. Elles permettent de mettre une ambiance générale, et montrent à beaucoup de gens qu’il se passe quelque chose. Mais souvent elles ne permettent pas de vraies discussions suivies, et débouchent peu sur l’établissement de réels contacts. Pour cela, il faut envisager des méthodes plus ciblées, moins quantitatives, mais plus qualitatives : on peut diffuser plusieurs milliers de tracts en une heure, ce n’est plus le cas si on discute 10 minutes avec chaque personne.
9) Une première méthode est bien adaptée pour les petites entreprises, et en particulier les commerces qui sont par définition des lieux ouverts au public : par binômes, les militant.es font le tour d’une rue, et discutent avec les salarié.es, les informent sur leurs droits, etc. Les retours d’expérience sur cette pratique montrent que dans la période, nous sommes généralement accueilli.es à bras ouverts, et notamment dans des secteurs sans aucune implantation syndicale : les salariées (souvent des femmes, pour le commerce) se sentent valorisées qu’on vienne les voir jusque sur leur lieu de travail, là où aucun.e syndicaliste ne s’était jamais aventuré.e, et elles sont avides de découvrir leurs droits, de savoir comment elles peuvent faire grève, etc.
10) Une autre méthode consiste à cibler un secteur ou quelques entreprises (en fonction de critères de combativité passée, de taille, de localisation…) pour aller y tracter, éventuellement en faisant nombre pour montrer qu’il se passe quelque chose. Par exemple, avec ce calendrier de mobilisation qui débouche sur le 8 mars, il peut être intéressant d’établir un plan de travail en direction des secteurs féminisés : Ehpad, aide à domicile, petite enfance… à ajuster en fonction des militant.es déjà présent.es dans l’union locale ou départementale, ou de la connaissance qu’on peut avoir de conditions particulières à une branche ou l’autre (la maîtrise, même limitée, d’une convention collective par exemple peut faciliter la discussion et son orientation sur ce qui fait souvent problème dans un secteur donné et permettre ainsi de proposer des solutions de lutte collective).
11) Il est tentant, pour occuper l’intervalle entre deux dates, de multiplier les actions de visibilité : marches aux flambeaux, happenings, rassemblements… Ces actions ont leur utilité, comme les manifs, pour montrer que la mobilisation continue, pour souder le groupe militant et lui donner de l’énergie, impliquer des personnes qui le sont moins d’habitude, etc. Mais leur portée reste limitée : ce sont encore des moments où l’on est « entre nous », entre gens déjà mobilisé.es, et généralement même un noyau beaucoup plus restreint que lors des grandes journées, le tout au prix d’une grande dépense d’énergie militante et d’une multiplication des tâches d’organisation (par conséquent souvent faites dans la précipitation et donc à moitié). Il faut bien sûr faire le bilan au cas par cas de ces modalités de lutte (quelle ambiance et quelle énergie ? Quel état d’épuisement pour les équipes militantes après ? Combien de personnes rencontrées ? Quel écho médiatique réel ? Une déambulation dans une petite ville où l’interconnaissance est forte n’aura évidemment pas les mêmes effets que dans une métropole). Pour l’instant, le constat global (peut-être un peu dur) est celui d’une faible efficacité de ces moments, qui servent surtout à s’occuper… pour s’occuper en attendant la prochaine manif, mais sans toujours s’inscrire dans une stratégie claire de développement et d’extension de la grève. Conclusion pratique : il faut passer moins de temps à tenter de « faire parler de » nous, et plus de temps à « parler à », parler aux salarié.es, chômeur.es, retraité.es, etc. : c’est uniquement comme ça qu’ils et elles ont des chances de s’impliquer dans la mobilisation et de se coordonner avec d’autres secteurs.
12) Cela étant, maintenir l’investissement militant sur la longue durée, éviter la routinisation, la lassitude, sentir qu’on fait œuvre utile, est une vraie nécessité. Les actions suggérées plus haut sont pour la plupart moins « chiantes » que des tractages généralistes à répétition, parce qu’elles permettent de rencontrer du monde, de discuter, et que l’intérêt de salarié.es aussi éloigné.es du syndicalisme pour ce qu’on a à leur raconter se transforme nécessairement en satisfaction et en enthousiasme. Mais il faut aussi des temps de sociabilité, de détente, de discussion libre, pour échanger de manière informelle, faire connaissance… De tels moments sont là aussi l’occasion d’élargir le cercle des personnes impliquées, et doivent être organisés de manière à développer une culture d’organisation : les choses à faire sont découpées en différentes tâches et chacun.e peut prendre le mandat de s’occuper de l’une d’entre elles, même en l’absence de compétences militantes particulières. Les projections de films, rencontres, etc. sont aussi des moyens de réfléchir collectivement aux buts de la mobilisation et à la stratégie, faisant ainsi sortir ces réflexions de leur monopole des secrétaires de syndicats (ou de militant.es politiques). Il est évident que les moments conviviaux ne suffisent pas en eux-mêmes à cimenter une mobilisation, ils ne doivent pas devenir une fin en soi, mais peuvent servir à élargir et renforcer un noyau militant cohérent : imaginons un endroit où le groupe de personnes qui agissent, tractent, etc. régulièrement passe de 10 à plusieurs dizaines (ce qui, l’exemple faisant foi, est tout à fait réaliste), et les possibilités de développement et d’élargissement de la base sociale de la grève s’en trouvent démultipliées.
13) La liste est déjà longue, mais encore loin d’être exhaustive. Il faudrait rajouter d’autres tâches indispensables, là aussi, pour éviter l’épuisement, maintenir une bonne humeur, ou simplement assurer les conditions de possibilité de tout ce qui précède : rédiger, maquetter, imprimer et répartir les tracts et affiches ; organiser de petits temps conviviaux ou repas communs avant ou après les manifs, animer et rendre vivantes ces manifs ; organiser des gardes d’enfants pendant celles-ci pour permettre à tout le monde d’y participer, etc.
14) Le mouvement a certes déjà bien débuté, mais il n’est jamais trop tard pour s’atteler à ces différentes tâches. Si l’on veut se donner une perspective de grève reconductible pour le 7 mars, il faut s’y mettre vraiment et s’en donner les moyens. En premier lieu, on l’a dit, en tâchant de ne laisser aucun.e salarié.e en dehors de la possibilité de faire grève : sur un secteur, une localité donnée, l’objectif peut être que tout le monde ait eu un contact avec le syndicat et ait reçu un tract clair sur le droit de grève. Mais ensuite, si des secteurs se mettent en grève, il faudra tenir, et là aussi tous les contacts, tous les liens préalables seront précieux : il faudra organiser une solidarité matérielle (repas communs, etc.), épauler les grévistes sans que cela n’aspire toutes les forces au détriment des secteurs non-grévistes (une piste étant que les grévistes aillent en groupe débrayer ou au moins informer les non-grévistes)…
Dès lors qu’on considère la masse considérable de travail à abattre dans l’attente d’une date de mobilisation, celle-ci paraît d’emblée beaucoup moins lointaine. On voit qu’il ne reste plus guère d’énergie à dépenser en critique du calendrier… d’autant que ces activités, effectuées largement, déboucheraient sur un dépassement réel (et non plus seulement incantatoire et en paroles) de celui-ci. À nous de nous y investir, et d’en ouvrir le plus largement possible la participation, en accueillant l’envie partagée de faire quelque chose et la conscience de classe qui naît de la lutte commune. La seule règle est de ne rien s’interdire, même si cela implique d’aller à l’encontre d’habitudes militantes bien ancrées, de faire preuve d’inventivité, et de permettre qu’il y en ait pour tous les goûts. C’est ainsi et dans ce genre de moments qu’on peut reconstruire un mouvement syndical fort, organisé, et capable de gagner sur la durée.

Baptiste, militant CGT, 16 février 2023

L’organisation de la C.G.T. (1935)

février 18, 2023

Le Congrès confédéral, et les constats faits à l’occasion du mouvement de grève sur les retraites, sont l’occasion de revenir sur les questions de structuration syndicale : au-delà de nos objectifs revendicatifs, notre mode d’organisation nous permet-il de les atteindre ? La réponse, aujourd’hui, est négative, comme le montrent l’incapacité à stopper l’hémorragie d’adhérent⋅es ou à initier une dynamique de conquêtes sociales au moins dans un secteur. Un élément d’explication de ces difficultés réside dans le poids et parfois le corporatisme des Fédérations dans la CGT, qui nous rend incapables de sortir de nos secteurs pour étendre un rapport de force au-delà des limites étroites de la branche où il a été établi.

Ces réflexions ne sont pas nouvelles : pour preuve, nous reproduisons un texte de 1935 paru dans L’Action syndicaliste, la revue de la tendance syndicaliste-révolutionnaire de l’enseignement. L’unification syndicale entre la CGTU et la CGT est en passe de se réaliser, et c’est l’occasion pour Jean Barrué (militant de la Fédération unitaire de l’Enseignement) de pointer la transformation de la CGT en une « somme de fédérations corporatives ». Un constat qui est encore davantage d’actualité aujourd’hui, alors qu’au nom du sacro-saint « fédéralisme » on laisse végéter les structures interprofessionnelles de base pendant que les grands bastions syndicaux, renfermés sur eux-mêmes, dépérissent lentement. Heureusement, Barrué donne quelques pistes pour la « renaissance du syndicalisme », à nous de les discuter, de les réaliser ou d’en inventer de nouvelles.

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53e Congrès de la CGT : Remettre la question de la structuration au cœur du débat

février 6, 2023

Article à paraître dans notre prochain numéro :

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Une stratégie de luttes dans la CGT ?

décembre 23, 2022

Article paru dans La RP n°819 (décembre 2022)

Depuis de nombreux mois, au fur et à mesure de l’approche du congrès confédéral de fin mars 2023, les interventions sur la stratégie des luttes prennent de plus en plus de place dans les CCN. Ce débat est aujourd’hui cantonné à la frange très réduite des dirigeants et dirigeantes des organisations que sont les UD et les fédérations. Quand on n’est pas proche de cette frange, c’est-à-dire que l’on n’a pas l’occasion régulière de discuter avec elle, on doit se limiter à la lecture des comptes-rendus du CCN publiés dans Le Peuple. Cela limite donc la vision que l’on peut se faire de ce débat, notamment sur ses détails. Cet article n’a donc pas la prétention d’en faire une analyse exhaustive, ni de proposer une stratégie de plus, bien entendu. Cependant, la vision à partir « de la base » présente certains avantages. On fera donc ici plutôt une revue des questionnements et de constats. Rien de plus, mais rien de moins.

Quelle est la nature du débat ?

Lorsqu’on lit les synthèses des interventions aux CCN, on se rend compte qu’il y a un débat sur la stratégie de la CGT. Certaines organisations, comme les fédérations du commerce, de la chimie, des cheminots, ou des UD comme celles des Bouches-du-Rhône, du Tarn-et-Garonne, du Val-de-Marne, mais pas seulement, interpellent la direction confédérale sur l’absence de débat de fond lors des CCN sur la stratégie des luttes dont doit impérativement se doter la CGT. Cette préoccupation rencontre un écho certain, qui se traduit notamment par l’exigence de l’adoption par le CCN d’une espèce de calendrier de dates de journées de grèves nationales interprofessionnelles. Ce serait là un outil qui permettrait de faire l’unité « d’abord dans la CGT », qui donnerait une vision de moyen terme de là où la direction de la CGT veut amener les équipes syndicales. Cette proposition entrerait de fait dans une évidente contradiction avec l’existence de l’intersyndicale nationale, elle-même élastique. Mais on lit de plus en plus d’interventions du genre : la CGT décide pour elle-même, puis propose aux autres organisations qui n’ont en gros qu’à accepter… ou ne rien faire. Or la CGT a-t-elle la capacité de faire seule, d’imposer aux autres un calendrier de dates de mobilisation ? On peut sérieusement en douter.
Face à cela, à ces lectures, on a effectivement du mal à déterminer la stratégie de l’actuelle direction confédérale. Est-ce parce qu’elle serait elle-même divisée sur le sujet ? De fait, la multiplication des journées nationales apparaît alors comme étant sa stratégie. Or, quel sens donne-t-elle à cette pratique, alors que les résultats ne sont pas très probants ? On a pu lire lors d’un CCN de cette année, lors d’une énième discussion sur « il faut sortir du CCN avec une date », comme si c’était un impératif, une bouée à laquelle se raccrocher pour se dire que « au moins, on fait quelque chose », quelques interventions trop peu nombreuses proposant une autre démarche. Non pas d’écarter la nécessité de dates nationales, mais de ne pas les balancer à partir du CCN, d’aller d’abord écouter et débattre avec les syndicats pour construire de telles dates. Mais ce type de propositions, qui ont pu obtenir l’approbation de membres de la direction confédérale, n’a pas eu gain de cause. Il en ressort alors, paradoxalement, que chaque CCN est pris d’une espèce de « frénésie gauchiste », où l’appel à une prochaine date de grève nationale serait incontournable. Tout en sachant que les conditions pour sa réussite ne sont pas réunies. Comme si cette annonce, par simple répétition, allait forcément marcher à un moment.
À cela s’ajoutent de récurrentes interventions sur la multiplicité de journées d’action par les fédérations venant de fait percuter les journées nationales interprofessionnelles. On a vraiment l’impression que l’on tourne en rond à ce sujet. Mais cela reflète tout de même ce que l’on entend dans les discussions entre les équipes syndicales à la base. Est-ce un problème ? Comment le résoudre ? Quels facteurs entrent en jeu ? Cette question donne lieu à certaines passes d’arme plus ou moins feutrées où des fédérations et des UD se divisent. Et où la direction confédérale est accusée par certains d’attiser les oppositions. Comment un tel climat peut-il donner envie aux équipes syndicales de s’emparer d’un débat stratégique ?

Créer un Grand Quartier Général des luttes ?

Les dirigeants des organisations citées plus haut, vont cependant plus loin. Pour eux, la succession de dates de journées de grèves nationales interprofessionnelles n’a aucun sens. Pourquoi ? Alors même qu’à plusieurs reprises ils ont demandé, du moins pour certains, la multiplication des appels ! En fait, ils estiment, si l’on a bien compris, qu’il manque justement du contenu anticapitaliste à ces dates. La posture que doit afficher la CGT doit être bien plus radicale dans ses objectifs qu’elle ne l’est aujourd’hui. La raison tiendrait à ce que l’actuelle direction confédérale serait majoritairement réformiste, quand eux seraient les révolutionnaires. La CGT serait donc en danger de disparition. Et c’est cela qui expliquerait la dépolitisation des équipes syndicales de base. Alors ils ont décidé de tirer la sonnette d’alarme en publiant il y a quelques mois un document de débat sur l’orientation de la CGT, en vue du congrès confédéral à venir, et avant que la direction confédérale ne publie le document d’orientation qui sera mis en débat lors de ce congrès.
Comment cette autre stratégie se concrétise-t-elle ? On y défend l’idée de déterminer à l’avance, que la CGT décide de lancer une grève dans tel secteur pour une période déterminée, pour ensuite enchaîner par un autre secteur, etc. Ce qui provoquerait la montée automatique du rapport de forces, le pays se trouvant alors peu à peu désorganisé, si ce n’est paralysé. Une construction de l’esprit, une mentalité de Grand Quartier Général des luttes, où des dirigeants, penchés sur une carte de France, lanceraient leurs troupes obéissantes. Comment peut-on être aussi déconnectés des réalités ? Ce document ne mérite pas de plus amples commentaires. C’est bien dommage, alors que la préoccupation initiale de voir la CGT débattre de stratégie syndicale pointe vraiment un manque crucial de l’organisation syndicale de lutte la plus importante en France.

Stratégie, questions d’organisation et de structures

On lit régulièrement dans les interventions aux CCN, de la part des UD, bien plus proches des réalités syndicales que les fédérations, des descriptions sur les grandes difficultés des structures de base de la CGT : syndicats, unions locales, voire UD elles-mêmes. Outre la « faiblesse politique » et le repli dans l’entreprise et les CSE des équipes syndicales, la perte de la culture d’organisation est aussi invoquée. Cela se traduit notamment par les retards désormais permanents dans le règlement des cotisations des syndicats au dispositif Cogétise, qui centralise à peu près 70 % de celles payées par les adhérents. Mais cela se traduit par d’autres difficultés. Comme celle du manque dans la remontée des informations sur ce qui se passe dans les syndicats et les lieux de travail (négociations d’accords dont la teneur reste inconnue par l’UD et l’UL, et donc la fédération, luttes sur les grèves, etc.). Comment alors les directions de ces organisations, chacune à leur niveau, peuvent-elles avoir une idée la plus précise possible de la lutte des classes, de l’état d’esprit des salariés, et ainsi débattre dans les meilleurs conditions d’une stratégie et de tactiques adéquates ? La vision de la réalité est donc, pour ces directions, de plus en plus floue, voilà un constat objectif de base. Constat qui n’est absolument pas pris en compte dans le fameux document de contribution au débat cité plus haut, par ces directions autoproclamées « révolutionnaires ». Comment se fait-il, alors que les luttes sur les salaires connaissent un regain depuis plusieurs mois désormais, que la CGT ne soit pas en capacité de publier une analyse un tant soit peu fouillée sur ces luttes et les revendications qui y ont été portées ? On a pu lire l’intervention du secrétaire général de la fédération des cheminots au CCN de fin août s’offusquer que des syndicats ne respectaient pas les orientations de la CGT en matière de salaires, car dans les luttes qu’ils menaient, avec les salariés en grève faudrait-il lui rappeler, c’est la revendication d’une hausse talon identique pour toutes et tous qui était mise en avant, et non pas au pourcentage. Autre débat important, certes, mais le donneur de leçons connaît-il le pourquoi de ce type de revendications ? Qu’en disent tous les syndicats CGT qui la défendent dans leurs luttes ? On ne le saura pas, et pour cause…
Parcourir les comptes-rendus des CCN montre aussi que plusieurs interventions, récurrentes, mais malheureusement trop minoritaires, venant encore une fois des UD, pointent le déficit, le mot est certainement trop faible, des liens entre les UD et les fédérations. Ce qui est tout de même problématique lorsque l’on se fixe l’objectif de lancer des vagues de grévistes au niveau interprofessionnel. Des UD déclarent qu’elles ont bien meilleure connaissance des bases syndicales que des fédérations. Et que les appels de celles-ci pour les actions à caractère professionnel sont non relayés par leurs syndicats. Une fédération expose sa méthode de visite régulière des syndicats, et invite les UD à s’y joindre. Au petit bonheur la chance, en quelque sorte. Imaginons ne serait-ce que la moitié des fédérations de la CGT faisant de même (ce qui serait déjà un miracle), comment les UD, sans parler des UL, pourraient assurer leur présence à ces hypothétiques réunions locales fédérations-syndicats ? Chacun et chacune faisant dans son coin, voilà l’image qui ressort de la CGT, image qui reflète une vraie réalité. Les syndicats qui se replient sur l’entreprise et le CSE, voilà une situation inquiétante. Mais en quoi sont-ils responsables de l’éclatement fédérations-unions départementales dans la CGT ? Dans un autre temps, lors d’un congrès confédéral au début de ce XXIe siècle, la question de l’évolution des structures de la CGT avait donné lieu à un débat et à des décisions, jamais véritablement mises en œuvre. On ne dépassera pas l’absence de coordination des champs professionnels et interprofessionnel à la base, là où il faut s’atteler à (re)construire la CGT, carence devenue problème central, par de simples volontés individuelles militantes. Le modèle cégétiste d’une trentaine de fédérations, où de fait le champ professionnel est prépondérant dans la CGT, comme dans le reste du syndicalisme en France d’ailleurs, est à bout de souffle.
Ainsi, débattre de la stratégie des luttes, ne peut se faire sans débattre des questions de l’état de l’organisation et des structures dans la CGT. Simple position matérialiste.
Reste qu’à la lecture de ces comptes-rendus des CCN, afin que le débat en question puisse être pris réellement en main par les équipes syndicales de base (syndicats et unions locales), un préalable est de clarifier ce qu’est une stratégie des luttes au niveau interprofessionnel national, les nombreux paramètres internes et externes à la CGT à prendre en compte, etc. Ce serait faire là acte fondamental de formation politique, qui certes prend du temps, mais qui manque cruellement, notamment pour s’assurer que les orientations de fond de la CGT soient construites au final par ses syndicats. Il faudrait peut-être commencer par là, non ?

CCN : Comité confédéral national, qui regroupe essentiellement, les fédérations et les unions départementales
CSE : Comité social et économique
UD : Union départementale
UL : Union locale

Michel T
(militant UL CGT)