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Alger 1957. La Ferme des disparus

juillet 3, 2021

Notre ami (et abonné) Jean-Philippe Ould Aoudia vient de publier son nouveau livre Alger 1957. La Ferme des disparus (format de poche aux éditions Tirésias-Michel Reynaud). Nous reproduisons ci-dessous son interview dans El Watan:

Dans cet ouvrage, l’auteur cherche à redonner à travers une investigation minutieuse leur identité aux 3024 disparus, torturés à mort par l’armée française pendant la Bataille d’Alger en 1957. Jean-Philippe Ould Aoudia, dont le père, Salah Ould Aoudia, fut l’un des six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs assassinés par l’OAS le 15 mars 1962, est président de l’association Les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun.

  • Vous focalisez votre dernier livre (2021) sur l’année 1957. En quoi cette année et les événements, dont Alger et sa région ont été le théâtre, est-elle significative, voire singulière de la guerre de Libération nationale de l’Algérie ?

Les exécutions capitales de résistants algériens à la prison de Barberousse et les attentats commis par des extrémistes de l’Algérie française dans La Casbah ont conduit le FLN à réagir et à porter la guerre de Libération nationale dans la capitale. L’armée française a reçu mission de vaincre le FLN à Alger pour mettre un terme aux attentats. C’était en 1957.

  • A la Bataille d’Alger, terme d’usage commun, vous préférez celui d’«écrasement d’Alger». Pourquoi ce choix et qu’est-ce qui le justifie à votre sens ?

Une bataille suppose un affrontement entre deux armées. En 1957, à Alger, il y eut l’affrontement entre l’armée de la quatrième puissance mondiale de l’époque qui a aligné 20 000 soldats, face à quelques milliers de résistants algériens mal armés et pas entraînés. Les patriotes algériens et la population furent écrasés dans un combat inégal.

  • Qu’est-ce qui caractérise cette guerre subversive que vous évoquez dans votre livre contre la population algérienne de La Casbah et des autres quartiers de la capitale ? Comment l’expliquez-vous ?

L’armée française vient d’être vaincue en Indochine en perdant le 7 mai 1954 la bataille de Dien Bien Phu, qui a vu une armée populaire soutenue par son peuple battre une armée professionnelle. Les militaires français, le 1er Novembre 1954, six mois après leur défaite, sont confrontés à la même situation en Algérie. Ce qui explique que pour les paras, tout Algérien est tenu pour suspect et les quartiers à majorité algérienne qui abritent les résistants vont particulièrement souffrir.

  • Comment se sont construits les liens entre les militaires chargés d’exécuter et de faire disparaître des militants de l’indépendance de l’Algérie et les groupes armés terroristes de «l’Algérie française» qui leur ont prêté main-forte ? Quel était le rôle des uns et des autres ?

Ils avaient un but commun : garder l’Algérie française. Ils avaient des procédés communs : enlèvement – séquestration – torture – disparition des corps. Sauf que l’armée le faisait à grande échelle. Il était logique qu’ils mutualisent leurs moyens. Un proverbe dit : «Qui se ressemblent, s’assemblent».

  • L’OAS fait-elle partie de ces groupes para-militaires ?

L’OAS n’apparaît qu’en 1961-1962. L’écrasement d’Alger est déjà loin. Mais vous avez raison de poser cette question, car on retrouve dans cet épisode de la fin de la guerre de Libération la même complicité entre civils adeptes de la violence extrême et l’armée des centurions. L’assassinat le 15 mars 1962 des six dirigeants des Centres sociaux éducatifs en est l’illustration : le chef du commando de tueurs est l’ex-lieutenant parachutiste déserteur Roger Degueldre, les cinq autres assassins sont des civils, dont l’un, Gabriel Anglade, est un ancien para.

  • Robert Martel avait mis sa ferme, La Cigogne, que vous appelez la «Ferme des disparus» à la disposition de l’équipe de tueurs professionnels dirigée par le commandant Aussaresses. Quel a été son rôle ?

Robert Martel a été impliqué, d’après l’enquête conduite par le commissaire Jacques Delarue venu de Paris, dans le fonctionnement de «La Villa des Sources», un lieu privé de torture d’Algériens enlevés. Il a été de toutes les organisations terroristes françaises qui furent successivement dissoutes.

Il disposait d’une ferme de 300 hectares à Chebli et il a mis quelques bâtiments qui s’y trouvaient à la disposition de la deuxième équipe de paras, placés sous les ordres du commandant Aussaresses, chargée de la disparition des personnes mortes sous la torture dans Alger et ses environs, en particulier à l’Arba.

  • Vous écrivez que «de 1955 à 1962, Chebli et quelques fermes alentour sont emblématiques de ce que la guerre d’Algérie a connu de plus secret et de plus hideux»…

Maître Ali Boumendjel a transité dans une ferme des alentours d’Alger. Après le putsch d’avril 1961, des fermes des environs de Chebli ont servi de refuge aux généraux félons. Un charnier se trouve peut-être à la ferme La Cigogne.

  • Quelles voies juridiques et judiciaires pour la qualification et la poursuite de ces milliers d’exécutions extra-judiciaires et de disparitions forcées au regard de l’évolution du droit international en la matière ?

-Aujourd’hui, aucune action judiciaire n’est possible : pas de cadavres, pas de crimes !

  • L’ouverture des archives et la communication des lieux de sépulture des disparus torturés à mort, vous semble-t-elle aujourd’hui possible, alors que le président Macron s’est prononcé favorablement en ce sens pour que les familles puissent faire le deuil de leurs disparus ?

Il appartient d’abord à l’Algérie de faire le nécessaire pour retrouver les corps des patriotes morts de la pire des façons pour qu’elle devienne un pays libre. Les Algériens connaissent certains emplacements de fosses communes. Je dévoile la ferme La Cigogne, d’ailleurs bien connue des habitants de Chebli de l’époque comme un lieu sinistre.

  • La recherche des disparus algériens revient en priorité à l’Etat algérien. En a-t-il les moyens ?

Il y a par ailleurs un site internet – 1000autres.org – sur lequel les familles de disparus peuvent inscrire les noms de celles et ceux qui ont été arrêtés sans jamais revenir. Plus d’un millier de noms sont déjà répertoriés. Il n’est donc pas besoin des archives françaises pour dresser la liste des 3024 martyrs de la guerre de Libération à Alger, leur élever un monument et les honorer à la hauteur de leur sacrifice suprême.

Propos recueillis par Nadja Bouzeghrane

Cent ans de capitalisme en Algérie (Louzon, 1930)

juin 7, 2021

Articles parus dans La RP n°99 et 104 en 1930, regroupés en un fichier pdf:

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L’insurrection algérienne de 1871

mars 19, 2021

Article de Louis Bercher (J. Péra) paru dans La R.P. n°53 (mars 1928):

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Aux travailleurs algériens (et aux autres…) (Saïl Mohamed , 1935)

février 15, 2021

Morceaux choisis
Aux travailleurs algériens (et aux autres…)
Bravo ! tu commences à te réveiller, tu entres dans la lutte sociale après avoir compris que tu es opprimé. Mais, hélas ! croyant te libérer de la peste française qui te ronge, tu veux te rejeter vers le choléra islamique, qui te détruira pareillement, ou vers la politique, qui te dévorera.
Que veulent de toi les charlatans qui t’entourent ? Tous ont le même but : républicains ou communistes, royalistes ou fanatiques des diverses religions, tous cherchent à vivre de la sueur de ton front et à te tenir dans l’esclavage le plus éhonté et le plus misérable. Ils te prêchent chacun à leur manière, mais leurs méthodes sont les mêmes : te tenir sous leur autorité pour te gouverner et t’exploiter sans vergogne.
Anarchistes nous te disons : À bas tous les gouvernements et tous les exploiteurs, qu’ils soient roumis ou musulmans, car tous veulent vivre sur le dos des travailleurs… tous sont des politiciens qui cherchent leur intérêt et non le tien.
Les pauvres n’ont ni Dieu, ni Maître, ni Patrie, et tu es parmi ceux qui sont le plus frappés par la vindicte capitaliste, religieuse ou politicienne qui rançonne votre crédulité : ne craignez pas les brimades des gouvernants cyniques… Le droit à la lutte ne se donne jamais, mais il se prend. Brisez ces lourdes chaînes qui vous retiennent dans l’esclavage, refusez votre confiance aux gouvernants qui, après avoir volé votre terre natale, vous traquent en France pendant qu’ils ouvrent les bras aux fascistes…
Et si l’on veut vous entraîner dans les aventures guerrières, souvenez-vous des 100 000 des vôtres qui furent assassinés sur les champs de bataille pour défendre de prétendus droits que l’on vous refuse maintenant.
Ne craignez ni la violence ni la prison, luttez sans relâche contre tous les régimes autoritaires, car ils sont toujours basés sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
À bas tous les esclavagistes quels qu’ils soient !
À bas tous les dictateurs !
À bas toutes les patries ! Ni Dieu ni Maître ! Vive l’Anarchie !

Saïl Mohamed,
pour le Groupe anarchiste des indigènes algériens
Le Combat syndicaliste, 25 janvier 1935
[Saïl Mohamed, L’Étrange étranger (Écrits d’un anarchiste kabyle), Lux, 2020]

Sur Saïl Mohamed (1894-1953), lire sa notice dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article154065

Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays

décembre 15, 2019

Extrait de La RP N°807

Internationale situationniste, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays (et autres textes). Textes rassemblés et présentés par Nedjib Sidi Moussa, Libertalia, août 2019, poche, 116 p.

Plus encore avec internet qu’avant, de nombreux textes sont accessibles (1), mais le risque est grand que tout cela devienne de l’archivage délaissé au nom de l’immédiateté des réseaux sociaux, qui raréfie la réflexion théorique. L’art d’une sélection devient de permettre une lisibilité, une évidence retrouvée, et c’est, dans cette tonique anthologie de textes « situ » ou « post-situ » sur l’Algérie, ce que fait Nedjib Sidi Moussa dont les lecteurs avaient déjà remarqué la part d’influence situationniste, assumée dès sa Fabrique du Musulman (2) ou dans son entretien dans La RP n°799. Il y avait un angle mort que constatait Nedjib Sidi Moussa en visitant l’exposition consacrée par la BNF à Guy Debord en 2013 : le silence sur les liens entre Debord et les émigrés algériens, sur les positions précises et étayées des situationnistes sur les problèmes de l’Algérie, et du coup la nécessité de montrer la continuité à travers les décennies d’une pensée révolutionnaire lucide sur la bureaucratie en Algérie.

Dans un premier texte paru dans Internationale situationniste en 1963, un élément de diagnostic est posé sur la jeune Algérie indépendante : « Les conditions extrêmement dures et la longueur de la lutte isolée des Algériens ont facilité ce sous-développement du projet explicite de la révolution, sans lequel le courage de la lutte immédiate, qui contient en lui-même la totalité de l’espoir, mène à des victoires grandement décevantes. » La formulation n’est pas sans faire écho au précédent livre de Nedjib Sidi Moussa, qui nous montrait le messalisme se disloquer et être marginalisé devant un impératif de guerre délaissant la réflexion politique (3).

Lire ou relire ensuite l’Adresse qui donne son nom au recueil est, là aussi, éclairant : bien que le texte ait été écrit en 1965, il pose des principes théoriques généraux clairs (« La domination du capitalisme bureaucratique d’État sur les travailleurs est le contraire du socialisme, c’est la vérité que le trotskisme a refusé de voir en face ») et garde une part d’actualité surprenante même lorsqu’il parle d’un panarabisme presque oublié : « Le mouvement qui entraîne les peuples arabes vers l’unification et le socialisme a obtenu des victoires contre le colonialisme classique. Mais il est de plus en plus évident qu’il doit en finir avec l’islam, force contre-révolutionnaire manifeste, comme toutes les idéologies religieuses ; il doit admettre la liberté du peuple kurde ; il doit en finir avec le prétexte palestinien qui justifie la politique dominante dans les États arabes, puisque cette politique se propose avant tout de détruire Israël, et qui la justifie à perpétuité, puisque cette destruction est impossible ». Enfin, les leçons proposées sont universelles : « Les prochaines révolutions sont placées devant l’effort de se comprendre elles-mêmes. Il leur faut réinventer totalement leur propre langage ; et se défendre contre toutes les récupérations qu’on leur prépare ».

La dénonciation par les situationnistes du coup d’État de Boumediene est développée dans un tract qui considère les secteurs autogérés comme une base de résistance possible contre la formation d’une « nouvelle bureaucratie technocratico-militaire » : « De l’ autogestion maintenue et radicalisée peut partir le seul assaut révolutionnaire contre le régime existant » (4). C’est ce qui peut sembler une contradiction du discours situ : seule l’autogestion non telle qu’elle est, dans une forme de « compromis », mais « radicale », élargie et anti-hiérarchique, telle qu’elle doit devenir, peut vaincre les bureaucrates FLN, alors même que sa forme actuelle, insuffisante, est directement attaquée par l’involution dictatoriale desdits bureaucrates. Sauf à surestimer la capacité révolutionnaire de la base, on est plutôt dans ce qui aurait dû être ou ce qui n’a pas été assez plutôt que dans une riposte immédiate. Les situationnistes semblent ici avoir trouvé ce distinguo (certains diront cette gymnastique) entre l’autogestion existante à défendre et l’autogestion généralisée et radicale à conquérir pour se démarquer des trotskystes et des staliniens qui, face au coup d’État, défendent les « acquis » de la période Ben Bella. Ce secteur autogéré, d’ailleurs, semble surtout être le fait de confiscations par en bas de biens abandonnés par la bourgeoisie pied-noir et évoque celle, également précaire, d’entreprises mises sous séquestre ou expropriées sur un patronat collabo à la Libération (comme Berliet). Ces autogestions d’après-guerre finissent toujours par un retour à l’ordre de la propriété sous la houlette de l’État reconstruit. Dans le cas de l’Algérie s’ajoutent les inévitables désillusions du nationalisme au sortir du processus de libération nationale. Vaincre le colonialisme n’est pas vaincre le capitalisme et ses sbires de rechange. Il y a toujours, tôt ou tard une indépendance de classe à construire face à l’État, et ici face au nationalisme qui fonde et justifie son autoritarisme et permet sa corruption.

Le livre permet enfin de présenter quelques personnalités « à la marge » comme Mohammed Saïl, Mezioud Ouldamer ou Mohammed Dabou. L’Algérie n’est pas un désert politique pour les révolutionnaires, une sorte de vide attendant d’être comblé par les bonnes paroles de ces courants dominants de l’extrême gauche française qui soutinrent Ben Bella et espérèrent un retour aux jours heureux du nationalisme de gauche. « Certes, les membres de l’IS ainsi que ceux qui ont cherché à poursuivre cette expérience n’ont jamais eu le monopole de la critique sociale. Mais ils la formulèrent avec intransigeance, malgré quelques illusions ou en surestimant les potentialités subversives. (…) il y a urgence à se réapproprier un tel legs… » Et les manifestations de masse ont ouvert cette année de nouveaux possibles.

S. J.

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(1) L’intégrale des 12 numéros d’Internationale situationniste est numérisée sur le site https://www.larevuedesressources.org.

(2) Voir La RP n°797 (extrait et note de lecture).

(3) Algérie, une autre histoire de l’indépendance. Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj, PUF 2019, note de lecture dans La RP n°805).

(4) Voir aussi Damien Hélie, Les débuts de l’autogestion industrielle en Algérie, éditions de l’Asymétrie 2018, introduction dans La RP n°804 et note de lecture dans La RP n°805), ainsi qu’une compilation d’articles parus dans La RP dans les années 60, mise en ligne à : https://www.dropbox.com/s/c8fkybz07s1r70v/larevolutionproletarienne-n193%20extrait.pdf (avec notamment Daniel Guérin, A l’écoute de l’autogestion en Algérie, La RP n°494, mai 1964).

Révolution algérienne : interview de Nedjib Sidi Moussa

juillet 19, 2019

Notre camarade Nedjib Sidi Moussa répond à une interview du site Rapports de force, ici: https://rapportsdeforce.fr/linternationale/revolution-algerienne-lauto-organisation-constitue-la-clef-de-la-suite-du-mouvement-07174031

L’Algérie est au bord de l’éclosion

mars 11, 2019

Texte de Mohammed HARBI et Nedjib SIDI MOUSSA :

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Face à la guerre d’Algérie: transactions anticoloniales et reconfigurations dans la gauche française

novembre 23, 2015

Article de Nedjib Sidi Moussa paru dans Diacronie N°9 en 2012 qui évoque la R.P. des années 1950.

Résumé: Face à la répression visant Messali Hadj, des militants de la gauche française, souvent en opposition aux directions du PCF et de la SFIO, se regroupent en 1954 dans un comité en vue de la libération du pionnier du nationalisme algérien. Ces militants (communistes, libertaires, socialistes, trotskystes, etc.) sont également partie prenante de divers regroupements sur les plans politique (CLADO), syndical (PUMSUD) ou intellectuel (Arguments). Certains s’engagent sur l’agenda de la décolonisation et d’autres répondent davantage à celui de la déstalinisation. En évoquant ces trois initiatives soutenues par des outsiders français, l’article se propose de mettre en relief ce qui se joue dans les transactions avec d’autres outsiders: les messalistes progressivement marginalisés par le FLN.

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Message à l’U.S.T.A. (1959)

septembre 3, 2008

Texte mis en ligne cet été sur le site La Bataille socialiste:

Cher camarade Bensid,

Chers camarades délégués au Congrès de Lille de l’U.S.T.A.

J’aurais été heureux d’assister à votre congrès et d’en suivre les débats, mais l’âge et la mauvaise santé ne me le permettent pas. Je tiens cependant à vous adresser quelques paroles, non pas au nom d’une organisation quelconque, seulement en qualité de vieux militant du syndicalisme révolutionnaire français, l’un de ses survivants en somme. Vous n’avez pas reçu des centrales syndicales françaises, l’aide, le réconfort, la solidarité qui vous étaient dues au cours des graves épreuves que vous avez suvies ces dernières années.

C’est que nos organisations traversent elles-mêmes une mauvaise période. Deux guerres mondiales en cinquante ans, plus une révolution sociale commencée au nom des Soviets et aboutissant à un étatisme totalitaire, ont privé la classe ouvrière internationale d’une grande partie de sa force et lui ont arraché peut-être ses espérances.

C’est dans cette dure période cependant que vous êtes engagés vous autres, dans une lutte pour l’indépendance et pour une réelle révolution sociale. Il vous faut du courage, vous en avez heureusement; gardez-le précieusement.

Oui, gardez votre courage, vous avez tant à faire ici, en France pour défendre vos conditions de vie et de travail, pour soutenir les revendications des centaines de milliers d’ouvriers venus d’Algérie et que vous représentez: salaire égal à travail égal, mêmes règles d’allocation pour vous et vos enfants qu’aux autres ouvriers et à leurs enfants, mêmes facilités d’accession aux métiers qualifiés. Hésitez moins, n’hésitez pas à faire connaître vos revendications.

Vous avez déjà, vous allez avoir demain plus à faire encore. Votre lutte pour l’indépendance se double d’une révolution sociale, celle des paysans et ouvriers algériens. C’est vous qui dans chacun de vos villages où vous retournerez, dans chaque usine, dans chaque atelier devrez organiser les forces ouvrières algériennes et les guider, forts de votre propre expérience.

Et je vous dis, mes chers camarades, courage, confiance, espoir.

Pierre MONATTE

23 novembre 1959.

L’histoire est mon combat, par Pierre Vidal-Naquet

mai 1, 2007

LIVRES

L’Histoire est mon combat

par Pierre VIDAL-NAQUET

Entretien avec D. BOUREL et H. Monsacré

Editions Albin-Michel, coll. Itinéraires du savoir

Note de lecture de Jean Moreau dans le n° 756 de mars 2007

Mort en 2006, Pierre Vidal-Naquet, dans ces ultimes entretiens, montre combien sa vie fut celle d’un homme et d’un citoyen toujours en chemin. Si celui-ci – selon son expression – « a pris d’innombrables détours », il témoigne aussi de l’honneur d’exister. Historien, philosophe, philologue, militant républicain, il ne transigea jamais avec le devoir de vérité et de justice.

Depuis ses combats contre la torture et la raison d’Etat lors de la guerre d’Algérie, puis contre le négationnisme pratiqué par les « assassins de la mémoire », enfin pour les immigrés, ce livre relate l’itinéraire d’un homme dont la simplicité égalait le courage, la connaissance et le sens de l’amitié. Le hasard voulut de que l’eusse au téléphone quelques semaines avant son décès: abonné de longue date à la RP, avec une profonde conviction, il réaffirmait l’importance de la lutte pour la justice sociale, la nécessité de ne pas accepter l’intolérable. Enfin, il aimait la poésie, attitude qui construit et embellit le destin des Justes.