Y aller ou pas ?

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(contribution à la discussion)

Au moment d’écrire cet article, la nouvelle journée de grève et de manifestations du 6 juin contre la réforme sur les retraites n’aura pas encore eu lieu, ni le vote à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi du groupe LIOT pour abroger la loi passée par le 49.3.

Mais on tentera quand même quelques commentaires sur la question que tout le monde attendait, celle de savoir s’il fallait « y aller ou pas », c’est-à-dire accepter ou pas de reprendre les discussions avec le gouvernement sur d’autres sujets que sur la retraite, après la sortie de l’intersyndicale suite au refus de la Première ministre d’aborder la loi sur la retraite à 64 ans. Trahison ou pas ?

Les conditions de la CFDT

Les déclarations de Laurent Berger à la veille du 1er mai se déclarant favorable à la reprise des discussions sur d’autres thèmes, sont dans la logique des choses. Invité à l’émission Quotidien sur la chaîne TMC le 1er mai, Laurent Berger a précisé deux choses, réitérées le lendemain sur La Chaîne Parlementaire.

La première est que selon lui, même si les organisations syndicales divergent sur plusieurs questions, il serait possible de trouver des positions communes, notamment sur : les salaires et les minima de branche, les conditions de travail et son organisation, et même les ordonnances Macron de septembre 2017, contre lesquelles la CFDT n’a pas même tenté de mobiliser … ni fait un retour critique sur son position.

Une intersyndicale au complet sur des sujets concrets, comme par exemple remettre en cause les ordonnances Macron de septembre 2017, est-elle possible ? On ne peut l’écarter par principe, mais a priori cela semble difficile. A la CFDT avant tout d’en faire la démonstration … Un autre exemple, celui de la « répartition de la valeur ». Un Accord national interprofessionnel (ANI) a été signé entre CFDT, FO, CFTC et CGC et le patronat. La CGT a refusé de le signer, car l’essentiel de son contenu tourne autour de mesures financières (comme l’intéressement et la participation) qui s’opposent à des augmentations de salaires, et donc à exonérer encore une fois le patronat de cotisations sociales, qui restent la base du financement de la Sécurité sociale, et donc aussi de la retraite … Ces quatre confédérations ont donc signé un ANI en contradiction directe avec leurs discours sur le financement de la retraite !

La seconde chose que Laurent Berger a avancée est que discuter avec le gouvernement sur d’autres thèmes que la retraite ne pourra se faire qu’à condition que l’exécutif accepte une autre méthode que celle appliquée jusque-là. Que l’essentiel, sur chaque thème, ne soit pas a priori hors champ du débat : ne pas laisser des miettes aux syndicats.

Et le syndicalisme de confrontation sociale ?

C’est là directement que se pose la question pour le pôle syndical de confrontation sociale, « y aller ou pas » ? Est-il tenable de dire : « plus aucune discussion avec le gouvernement, sur aucun sujet que ce soit, tant que la loi sur la retraite à 64 ans ne sera pas retirée ou non mise en œuvre » ? Cela n’a pas de sens. Car alors pourquoi exonérer le patronat ? Il faudrait, pour être cohérent, refuser aussi toute négociation avec le patronat, au niveau interprofessionnel, sur tous les sujets tant que la loi des 64 ans ne sera pas mise à terre.

L’intersyndicale tente de gérer non pas une fin du conflit sur les retraites, mais une sorte de suspension, un atterrissage sans trop de secousses… Le niveau du rapport de force n’a pas été suffisant, par l’absence d’une grève suffisamment massive et reconductible. Les dernières journées de mobilisation se situent toujours à un niveau élevé par rapport à la dernière décennie, mais la fatigue et l’usure des équipes militantes sont devenues évidentes. Donc elle continue à se raccrocher à des logiques institutionnelles (décisions du Conseil constitutionnel, motion de censure, vote sur une proposition de loi) pour faire de la gestion. Et on lit et on entend alors le florilège classique de la « trahison des bureaucraties syndicales », etc. Celles et ceux qui excellent dans cet exercice, que proposent-ils/elles, qui prenne vraiment en compte les coordonnées de la situation réelle, et non pas fantasmée ?  Comme c’est le concours Lépine en ce moment, peut-être qu’une idée géniale viendra …

Le critère de méthode posé par Laurent Berger est un bon critère. Peu importe que ce soit le secrétaire général de la CFDT qui l’ait mis en avant. Il faut le prendre au mot pour le coup, mais aussi pour tous les autres coups, et partout ! Faut-il occuper cette chaise ou pas qu’offrent à un moment donné les rapports sociaux institutionnalisés, et les instances permanentes qui en sont issues ? Car ce qui est paradoxal, c’est que l’exigence de méthode par Laurent Berger est l’exacte définition du refus du « dialogue social ». Celui-ci est l’essence même de l’institutionnalisation du syndicalisme. Celle-ci n’est pas le fait que les confédérations participent à des organismes et à des instances où se retrouvent Etat et patronat avec les syndicats. C’est le fait de se retrouver dans ces lieux où ce qui en ressort n’engagera personne, et donc ne nécessite aucun rapport de force de la part des syndicats pour empêcher un recul, pour gagner des droits et des acquis supplémentaires, avec des « règles du jeu » claires au préalable. Et Laurent Berger de dire publiquement, et avec fermeté, que son organisation veut faire l’inverse de ce qu’elle pratique tous les jours, face aux gouvernements successifs (mais qu’elle n’a pas réussi à obtenir de la part de Macron …) et au patronat. On ne demande qu’à voir !

Oui, cela fait partie du combat du syndicalisme de confrontation sociale de gagner la construction de lieux où l’on négocie pour obtenir des accords favorables au monde du travail et à la population, qui ne sont que des armistices avant de repartir à la bataille Et ils sont favorables si ce syndicalisme aura réussi à se présenter avec un rapport de forces suffisant, qui se mesure d’abord à son ancrage sur les lieux de travail, à y faire vivre l’action syndicale et le militantisme, ce qui tient à ses propres capacités d’abord. Et donc à être majoritaire face au pôle du syndicalisme d’accompagnement des reculs sociaux et du dialogue social.

Il n’y a rien de scandaleux ici, cela se passe dans les entreprises, dans les branches, et donc aussi au niveau interprofessionnel où les interlocuteurs sont le gouvernement, mais aussi le patronat. Ces règles de la négociation sont elles-mêmes le fruit d’un compromis issu d’une négociation faisant suite à un rapport de forces, etc. Et tant que le rapport de forces n’est pas porté à un niveau bien plus élevé, comme lors d’une grève de masse reconductible, prenant un caractère de crise politique profonde, ce seront ces règles que les syndicats appliqueront pour améliorer le quotidien de notre classe sociale. Il n’y a pas à s’en offusquer. On n’impose que ce que l’on est en capacité d’imposer. Négocier n’est pas trahir, tant que le moment où l’on décide de négocier n’est pas choisi volontairement pour briser une mobilisation. Ce n’est pas une science exacte, on peut se tromper, on se trompe tous les jours. Il est assez facile de déterminer quand il y a volonté de casser la lutte. Mais il est parfois compliqué de savoir quand le rapport de force a atteint son point culminant. Négociation et dialogue social sont opposés. Pour le syndicalisme de confrontation sociale, la négociation est une étape, un moment dans le processus constant de la construction du rapport de force.

La question ici est de savoir à quel niveau est le rapport en ce moment, en l’absence de grève, mais où la colère continue à s’exprimer massivement, et où l’intersyndicale existe encore. Est-ce que ce sera suffisant pour gagner du vrai contenu face au gouvernement sur des sujets hors question des retraites ? Il y a ici de quoi donner une perspective à l’intersyndicale, à condition qu’elle puisse trouver un vrai contenu revendicatif. On sait que là on peut sérieusement douter. Mais on espère être surpris. Combien avaient prédit la sortie du pôle syndical d’accompagnement, CFDT en tête, de l’intersyndicale au bout de quelques semaines ?  

Déserter totalement le dialogue social

C’est donc tout l’inverse du « dialogue social », et c’est cela qu’il faut marteler, sur quoi il faut former les équipes syndicales, en faire un des piliers du modèle syndical de confrontation sociale : il faut déserter le dialogue social ! Laisser vides ses chaises qui nous sont offertes ! Cette cohérence, ce pôle syndical doit l’affirmer dans l’intersyndicale. Mais plus encore, il doit se l’appliquer à lui-même dans toutes ses activités. Et là, il y a une sérieuse remise en cause à faire. Car si le « dialogue social » ne caractérise pas le pôle du syndicalisme de confrontation sociale, il le pratique tout de même à une certaine échelle, dans certaines entreprises et établissements, les plus grandes, dans les branches, et au niveau interprofessionnel. Comme seul exemple on donnera la participation des huit organisations syndicales, et donc aussi de la CGT, la FSU et Solidaires, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), et se déclinaisons régionales (CESER). Mais on sait que là (notamment pour la CGT qui y trouve des moyens financiers pour faire exister plusieurs de ses Comités régionaux) et ailleurs, les enjeux financiers ne sont pas négligeables, posant la question du modèle syndical défendu.

Donc oui, il faut « y aller », mais avec un critère clair et cohérent, et qui engage, non seulement lorsque le gouvernement rencontre les organisations syndicales, mais partout ailleurs où le syndicalisme de confrontation sociale se trouve à représenter les salarié.es et la population. Et donc sans plus tarder, il doit se transformer pour répondre à la réalité du salariat d’aujourd’hui, faire exister et organiser le syndicalisme sur les lieux de travail, et s’unifier. Sans quoi, même avec un critère correct, il restera incapable de gagner sur des revendications centrales au niveau interprofessionnel.

Michel T (militant UL CGT)  

Une Réponse to “Y aller ou pas ?”

  1. CGT : quel avenir pour le « dialogue social » ? | La Révolution prolétarienne Says:

    […] un précédent article en ligne « Y aller ou pas ? », on avait défendu une réponse positive, à condition d’une position claire sur la méthode […]

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