Edition militante: René Lefeuvre

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Paru dans La Révolution prolétarienne N°761 (juin 2008)

René Lefeuvre était un autodidacte militant. Maçon, commis d’architecte puis correcteur, il mettait tout son salaire dans sa revue (Masses puis Spartacus) et ses éditions, ramassait des ficelles ici ou là pour des paquets que ses visiteurs étaient invités d’emblée à emballer (« Y a des paquets à faire »). Il incarnait une force de la volonté, un militantisme authentique. Mais au-delà du dévouement de l’homme, c’est la qualité de cette œuvre portée à bouts de bras qui importe: René Lefeuvre est d’abord celui qui aura fait connaître Rosa Luxemburg en France. Il aura aussi initié un segment d’édition efficacement adapté à son souci d’éducation populaire: la brochure bon marché de haute tenue rédactionnelle (qui d’autre parle de la Guépéou en Espagne en 1938 ?). Plusieurs animateurs ou collaborateurs de la Révolution Prolétarienne publièrent chez Spartacus: Robert Louzon, Alfred Rosmer, Simon Rubak, Raymond Guilloré, Pierre Rimbert.

N’oublions pas enfin que René Lefeuvre tenait la rubrique syndicale dans La Gauche révolutionnaire pivertiste. Lors de la réunification CGT-CGTU, il y écrivait:

« La CGT unique sera ce que ses militants voudront en faire. […] Le mouvement syndical doit se déterminer lui-même en pleine indépendance, sans aucune intervention de l’extérieur […] Cette indépendance du syndicalisme ne saurait être, bien entendu, l’indépendance des dirigeants syndicaux à l’égard des syndiqués […] Maintenant que le premier objectif: l’unité, est atteint, il importe avant tout de mettre fin à la passivité syndicale ».

Lors d’une première hospitalisation de René Lefeuvre, l’Association des Amis de Spartacus avait été mise en place. Elle poursuit aujourd’hui la publication du catalogue et de nouveautés.

Julien Chuzeville a réalisé un DVD (1) sur René Lefeuvre (1902-1988), le fondateur des éditions Spartacus, accompagné d’un livret. Ce documentaire de 40 minutes assemble judicieusement témoignages contemporains (Jean-Michel Kay, Jorge Valadas…), extraits d’entretiens avec René Lefeuvre et images d’archives, par exemple des couvertures quasi-légendaires des revues et brochures publiées pendant plus de cinquante ans par un militant obstiné. C’est aussi le deuxième DVD en quelques années revenant sur le courant pivertiste après celui du CERMTRI, et cela réchauffe toujours le coeur qu’en ces temps de social-libéralisme à tout crin la mémoire du socialisme révolutionnaire en France puisse perdurer et s’enrichir de nouveaux matériels.

– Julien, tu viens de publier un DVD sur la vie et l’œuvre de René Lefeuvre. Comment est venue l’idée de ce documentaire?

Julien Chuzeville: L’idée était de faire un film que, normalement, on ne ferait pas. C’est un militant qui ne cherchait pas à se mettre en avant, qui était très modeste : ce n’est pas « vendeur », jamais une télé ne financerait un tel projet.

C’est aussi, des années 20 jusqu’aux années 80, l’histoire de la fidélité d’un homme à ses convictions. Il a fait partie de ces militants qui n’ont jamais abdiqué devant les mensonges et les reniements à la mode. Le sujet permettait aussi d’évoquer l’édition militante, et un courant de l’extrême gauche anti-stalinienne dont on parle très peu aujourd’hui.

– On voit à quel point les amis de Spartacus collaborent pleinement à ton documentaire et prennent plaisir à se remémorer René Lefeuvre. As-tu rencontré toutefois des difficultés de réalisation?

J.C.: Aucune difficulté du côté de ceux qui l’ont connu ; en particulier de la part des continuateurs de Spartacus, qui m’ont permis de consulter les archives des éditions. Il a été plus difficile de trouver tous les numéros des revues qu’il publiait, les collections étant souvent incomplètes. Autre problème : Lefeuvre est mentionné dans pas mal de bouquins, mais souvent les informations sont fausses. Et évidemment, j’aurai aimé interroger de nombreux militants qui sont morts – à commencer par Lefeuvre lui-même !

– On ne peux pas dissocier René Lefeuvre de la pensée de Rosa Luxemburg et de sa diffusion en France. Quelle est pour toi l’actualité de cette pensée?

J.C.: Lefeuvre est arrivé dans le mouvement ouvrier à un moment où passer sous silence Rosa Luxemburg arrangeait à peu près tout le monde. Les staliniens faisaient disparaître une pensée communiste véritable et un marxisme révolutionnaire s’opposant sur plusieurs points à leurs dogmes : quand on diffuse un mensonge, il faut faire disparaître le vrai… Quand aux réformistes, ils s’étaient opposés à elle déjà de son vivant, au sein des congrès de l’Internationale Socialiste. Il fallait donc à René Lefeuvre pas mal de curiosité et de courage intellectuel pour éditer et diffuser sans relâche les textes de Luxemburg à l’époque.

Pour des raisons différentes, c’est un peu pareil aujourd’hui : la pensée de Rosa Luxemburg reste à la fois une critique implacable de la société actuelle (en particulier de l’exploitation des travailleurs), et un démenti frappant des multiples mensonges du XXe siècle (comme le capitalisme d’Etat qui est souvent appelé « communisme » : un bel exemple de la « destruction des mots » dont parlait Orwell). Les textes de Luxemburg montrent à contrario que l’emploi des mots « socialisme » ou « communisme » par l’idéologie dominante et les appareils établis sont autant de mensonges.

Ceux qui veulent le statu quo ou le retour en arrière ont tout intérêt à passer sous silence cette pensée, qui restera actuelle tant que l’exploitation et l’aliénation domineront les humains.

Stéphane JULIEN

(1) On peut commander en ligne le DVD sur le nouveau site http://atheles.org/editeurs/spartacus/ ou chez « Les Amis de Spartacus », 8 impasse Crozatier, 75012 Paris. mai 2008. 10 euros.

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